Incroyable, j'ai complètement zappé ce post.
Dire qu'en lisant celui sur Tony, je me disais "tiens va falloir que je poste sur Elvin"...
Aloooors
Elvin (donc ma seconde divinité personnelle avec Tony Williams) est le parrain virtuel de mon petit garçon de deux ans prénommé Adrien, Barnabé, Elvin. Vous vous en f....., mais je peux vous dire que ça vous pose son bonhomme à la crèche
En deux mots courts, comme à mon habitude, Elvin c'est à la fois un jeu "terrien", sauvage et physique, mais c'est aussi (et on l'oublie souvent), un jeu très réfléchi, nuancé, et une très grande musicalité. Evidemment, comme tous les grands grands, il est identifiable dès les premières secondes
Comme l'a dit Géronimo, Paczinski lui consacre un centaine de page dans le Tome 3 de "Une histoire de la batterie Jazz", un tiers du bouquin. Les deux autres tiers échoient à Tony Williams et Jack de Johnette. Une super lecture!
Mais revenons à Elvin :
- Elvin le sauvage : quand on découvre Elvin, et a fortiori si on n'est pas batteur, il évoque par sa gestuelle, par la puissance de sa frappe l'aspect "primitif" (au sens premier, essentiel, des origines) des tambours africains. Comme il a été un des premiers à faire des solos en tenant les baguettes par le côté olive, pour frapper avec le cul de la baguette, beaucoup des fans de jazz à l'époque, bien qu'emerveillés, le pensaient "primaire", en ont déduit qu'il sortait d'une hutte (voire d'une grotte) et qu'il ne savait pas lire une note de musique.
C'est une grosse erreur : Elvin est issu d'une famille de musiciens très prolifique (Hank Jones au piano, Thad Jones à la trompette), a fait son apprentissage de l'instrument à l'armée et auprès des batteurs qu'il croisait, d'une façon relativement académique pour l'époque. Il a été l'un des premiers à dire aux jeunes batteurs qu'il fallait apprendre la discipline de l'apprentissage et s'exercer plusieurs heures par jour.
- Elvin le batteur de Coltrane : c'est évidemment quand il a intégré le Quartet légendaire de Coltrane qu'il a été révélé au grand public, même s'il était déjà très estimé de beaucoup de musiciens.
Il a développé avec Coltrane son jeu si particulier, et une place à part dans le groupe. Elvin assure un swing d'enfer, mais ce qu'il joue est particulièrement dur à analyser. Non pas que l'on n'arrive pas bien à relever ce qu'il joue, mais le placement des coups est parfois ambigü, une phrase à la caisse claire peut sembler se décaler par rapport à la cymbale ride. Il joue beaucoup en solo avec des combinaisons de frisés aux mains et de grosse caisse, il n'utilise pas tellement le roulé pour phraser sur ses toms, mais utilise beaucoup et superbement le press roll sur la caisse claire. L'indépendance qui se cache derrière ce jeu -apparemment- brut est d'un haut niveau. Je dirai même que c'est une vraie indépendance, dans le sens où la cymbale vit sa vie propre, le charlé ponctue, les phrases à la main gauche ont leur chant propre, parfois décalé. Cela n'a rien à voir avec des exercices de coordination.
En résumé, Dante Agostini avait essayé d'écrire une page dans le style (Solo Elvin je crois), mais reconnaissait que c'était un échec et que la musique du jeu d'Elvin ne pouvait pas être mise sur papier. Alors que les solos dans le style de Buddy Rich s'y prêtent très bien.
Le tempo d'Elvin est élastique, c'est comme si Elvin sentait le tempo défiler de façon métronomique, mais jouait autour, accélérant et retardant certains coups et phrases, et jouant parfois les accents avec du retard (ce qui crée une tension qu'il soulage ensuite avec une cymbale très relax). Evidemment, le résultat est superbe et n'a rien à voir avec un débutant qui essaie de jouer un binaire mais n'est pas carré...
Pour moi, le jeu d'Elvin est simplement un moment de jubilation, de bien-être. Alors que d'autres parlent plus à l'esprit, écouter Elvin c'est d'abord une sensation, un ressenti physique, une façon très spéciale de faire swinguer la musique et de faire chanter l'instrument.
Pour l'avoir vu sur scène, je trouve que l'image que l'on a sous les yeux quand on le voit jouer est l'illustration de ce qu'on entend : Elvin se marre en jouant, il grogne de plaisir, et un échange avec les autres musiciens comme une discussion chaleureuse entre potes autour d'un verre, pas un débat scientifique ou philosophique.
L'homme et le jeu rayonnent de chaleur humaine...
Une petite sélection personnelle :
- John Coltrane : A Love Supreme, Afro Blue Impressions (Pablo Live), Crescent, Live at Birdland.
- Hank Jones : Plays the Music of Thad Jones
- Stefano di Battista : Stefano di Battista (yes arno!)
- Elvin Jones (et Richard Davis) "Heavy Sounds"